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Retour sur le mouvement Maker

Il y a près de 5 ans, un article dans Télérama présentant le livre “Makers” de Chris Anderson, rédacteur en chef du magazine Wired et théoricien de la “Longue Traîne”, débutait par ces mots :

“Bientôt, tout le monde aura sa petite usine sur le coin de son bureau ! La démocratisation des ordinateurs et des imprimantes a permis à chacun de publier ses propre documents avec une qualité croissante. Celle des machines de fabrication numérique va faire de même avec les objets.”

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Cette vision, pas tout à fait encore d’actualité réellement dans les foyers, s’inscrit plus largement dans un faisceau d’avancées technologiques que nous voyons apparaître : impression 3D, drone, réalité virtuelle, robotique, nanotechnologies, cultures hydroponiques, objets connectés…

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Mais cette révolution apparu outre atlantique il y a plus de 10 ans maintenant, en premier lieu dans des cercles de bricoleurs “high-tech”, s’est répandu dans la société et infuse aujourd’hui beaucoup plus largement que ce premier cercle identifié.

Largement favorisé par une approche “Open Source” héritée du développement logiciel, elle est prise en main par une population diverse sans considération d’origine ou de statut social.

Cette communauté hétérogène se structure selon des thèmes et des objectifs très divers autour de lieux hétéroclytes et dispersés sur le territoire selon les volontés institutionnelles, éducatives, privées et/ou associatives : les fab-labs, hackers space, fac-labs ou autre tiers lieux.

Un temps intégrés en tant que pierre angulaire des concepts de smart-cities, ces lieux de rencontres, de création, d’échanges et d’innovation ont aujourd’hui une vocation beaucoup plus large : sociale, entrepreneuriale, artisanale, éducative, économique…

Cette dispersion géographique, thématique et philosophique parfois, en fait un mouvement très large comparable à une lame de fond qui chamboule déjà certaines pratiques et va bouleverser nos sociétés sans distinction de richesses ou de pauvreté, de situation géographique ou politique.

Le Printemps Arabe s’est développé et nourri de ce qu’il se passait dans ces lieux comme par exemple au Caire non loin de la place Tahir, des mouvements comme “Occupy” ou “Nuit Debout” ont utilisés des méthodes de partage de la parole, de prises de décisions, appliqués dans les hackerspaces pour se structurer, pour co-construire les projets, les tester et faire évoluer les idées.

Décalage important entre l’univers français et américain mis en lumière par Michel Lallement dans “l’âge du faire” :

  • Aux Etats-Unis, la plupart des hackers-spaces sont indépendants et ne vivent que des cotisations, de la ventes de goodies, d’objets fabriqués sur place par les membres ou de dons de particuliers, sympathisants ou membres. Certains acceptent les dons d’entreprises mais le font plutôt rarement compte tenu de la crainte d’être récupérés et de devoir accepter des contreparties incompatibles avec l’esprit du mouvement Maker.
  • Les structures françaises, à l’inverse, ont été vite rattrapées par l’acteur public qui a saisi au bond ces initiatives pour s’y associer, malheureusement, sans souvent entrevoir les potentiels créatifs, innovants et économiques à moyens et longs termes et en se focalisant sur un retour sur investissement à court terme, contraire au principe même de cette “culture” basée sur la rencontre humaine, sur l’expérimentation et le partage de connaissance.

Un mouvement, des manifestes

La Fing a entrepris, il y a quelques années, d’identifier ce mouvement afin de permettre de mieux en cerner le potentiel, d’en anticiper ses évolutions, d’établir des liens et des collaborations, d’en faciliter le développement :

“Dans leurs ateliers, Fab Labs, Techshops et autres Hackerspaces, les « nouveaux artisans », makers, DIYers, bricoleurs du XXIe siècle inventent, transforment, personnalisent, réparent, produisent et reproduisent. Le mouvement semble puissant.

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Il se répand partout dans le monde, il fonctionne en réseau, il suscite ses plates-formes et ses espaces d’échange, il dispose de médias (Make Magazine au premier rang) et d’événements (Maker Faire, UpCycly Fest ou OpenBidouille Camp par exemple).

Mais quelles sont leurs intentions ? Pour quoi, contre quoi les makers se battent-ils ? Qu’espèrent-ils accomplir au-delà du fait de vivre une expérience enrichissante ? Que veulent-ils changer et quelles alternatives dessinent-ils ?

”Ce projet, “Refaire : le manifeste des manifestes”, s’est concrétisé par une “expédition” à la rencontre de ce mouvement, de ces communautés qui le compose et des principes qui le régissent par différents manifestes. ReFaire est parti collecter les principaux « manifestes » dans lesquels les acteurs et les porte-paroles du mouvement maker expriment leurs valeurs et leurs intentions.

Premiers manifestes « Maker »

Les premiers manifestes de makers apparaissent en 2005. Le Crafter Manifesto («manifeste du bricoleur/artisan») de la designeuse et entrepreneuse finlandaise Ulla-Maaria Mutanen exprime à la fois le plaisir que l’on peut trouver à fabriquer ses objets soi-même et, déjà, l’idée que ces pratiques personnelles trouvent un nouveau sens (y compris économique) lorsqu’elles se mettent en réseau.

Egalement publié en 2005 sur le site du tout jeune magazine Make, le Owner’s Manifesto («manifeste du propriétaire») s’adresse plutôt aux designers et fabricants auxquels il oppose une «déclaration des droits du maker» : seuls des produits documentés, faciles à ouvrir et à réparer, nous «appartiennent» vraiment ; toute autre option est suspecte.

D’autres manifestes vont voir le jour au fil des années, en fonction des évolutions sociétales, et en particulier compte tenu de l’association croissante entre produits et services.

Les modèles d’innovations ouverte et “horizontale” caractéristiques de l’internet, peuvent désormais s’appliquer à la production industrielle, aux villes, à la distribution…

De plus, aujourd’hui, compte tenu de l’évolution et des progrès technologiques en particulier, certaines pratiques dites « amateures » se rapprochent, des pratiques professionnelles, comme cela a été le cas dans les domaines de la production de contenus multimédia, de logiciels ou de services en ligne auparavant.

Ces manifestes prennent position d’une manière assez cohérente dans trois domaines : la relation de chacun à «ses objets» ; la responsabilité des objets ; et par suite, la responsabilité des industriels.

Un nouveau monde industriel

Il est maintenant établi que ce « nouveau monde industriel » que décrivent les économistes obéit à des règles très différentes de l’ancien, en particulier dans sa relation aux consommateurs, aux écosystèmes d’innovation, aux acteurs des services.

Ainsi, récupérés, encadrés et suivis par une classe politique sans idées, à bout de souffle et en quête de nouveaux horizons, les «makers» deviennent, dans notre société actuelle en quête perpétuelle de renouveau, les gourous d’un nouveau système économique, fruit d’une révolution industrielle où chacun s’empare des moyens de production pour créer son business.

De l’émancipation par les objets

Si les points de départ des manifestes diffèrent, tous convergent vers une conviction commune : le modèle de l’industrie de masse, qui vend des produits standardisés (ou même personnalisés) à des individus réduits au rôle de consommateurs, n’est plus satisfaisant, tant d’un point de vue individuel que d’un point de vue collectif.

Trouver ou retrouver la capacité de réparer, modifier, adapter, créer des objets constitue un chemin vers l’émancipation, vers l’accomplissement de soi.

Des objets au services, il n’y a plus qu’un pas

Ces communautés, aujourd’hui, se tournent également vers les services et utilisent couramment différentes plateformes matérielles (Arduino, Android de Google, IFTTT, Hue de Philips par exemple) et le plus souvent “opensource” (Linux, Chromium, ) pour personnaliser leurs usages.